Ces entreprises qui misent sur leur passé



NUMÉRISATION La société française Arkhênum numérise et valorise depuis quelques années le patrimoine des sociétés. Elle a étendu son offre à la Suisse cette année. L’occasion de constater que l’histoire peut être un moyen pour les entreprises de se distinguer

 

«Pictet, depuis 1805». «Guerlain, plus de 190 ans de création». «Patek Philippe, Maître Horloger depuis 1839» . Sur un marché globalisé où la concurrence fait rage, les entreprises sont nombreuses à mettre en avant leur longévité.

Toujours plus nombreuses même, si l’on en croit la société française de numérisation et valorisation du patrimoine Arkhênum. Une étude qu’elle a réalisée avec le Cercle des entreprises familiales centenaires (EFC) lui a permis de constater qu’en France le nombre de marques déposées faisant référence à une ancienneté – «depuis», «fondé», et autres – est passé de 3000 à 7300 entre 2010 et 2017. «Mettre l’accent sur la longévité véhicule forcément une image de qualité et de savoir-faire», décrypte Laurent Onaïnty, directeur général de la société qui compte 70 employés.

«Le passé ne manque pas d’avenir», assure le slogan d’Arkhênum. Cette société bordelaise, fondée il y a vingt ans et rachetée en 2016 par le spécialiste français de la gestion du document AGS Records Management, a décidé il y a cinq ans de se tourner vers le secteur privé, une offre qu’elle a également étendue à la Suisse cette année.

Du public au privé

«A nos débuts, la numérisation intéressait surtout les établissements publics patrimoniaux, raconte Laurent Onaïnty. Mais petit à petit, nous avons compris que des entreprises souhaitaient aussi numériser leur patrimoine. Nous avons donc développé une offre de numérisation mais aussi de valorisation des archives.» Aujourd’hui, environ 40% des mandats d’Arkhênum viennent du privé.

Concrètement, les entreprises commencent souvent par une demande de classement et de numérisation des archives, puis continuent avec une valorisation de ce patrimoine, à travers des sites internet, la réalisation de films patrimoniaux – comme l’entreprise l’a fait pour Renault – ou même d’expositions, physiques ou virtuelles. S’agit-il donc surtout d’un outil de communication?

«C’est très souvent le cas, puisque c’est une façon de parler de la marque sous un angle nouveau», détaille Laurent Onaïnty.

Fédérer à l’interne

Cet outil de communication aide aussi lors de crises: des archives numérisées par Arkhênum ont servi de preuve à une société accusée d’être impliquée dans la fabrication du gaz moutarde lors de la Première Guerre mondiale. La numérisation aide aussi à accéder plus facilement aux documents.

Le passé peut également permettre de fédérer à l’interne. «Arkhênum a numérisé des photos, des plans et des vieux journaux, raconte Micaëlle Amoussou Coussy, responsable du patrimoine de la marque de Cognac Rémy Martin. Ils se trouvent dans une bibliothèque numérique que peuvent consulter les collaborateurs.»

La stratégie du recours au passé ne date pas d’hier, rappelle Pierre- Yves Donzé, professeur d’histoire des entreprises à l’Université d’Osaka. «Les secteurs qui l’utilisent sont ceux dans lesquels l’histoire est devenue une ressource marketing, comme dans la mode ou le luxe. C’est aussi le cas dans l’horlogerie: d’abord dans les années 1980 avec le retour de la montre mécanique, puis toute l’industrie horlogère s’y met dans les années 1990. Les grandes marques ouvrent leurs musées.» Les années 1980 ont marqué un tournant dans la façon de faire de la communication: «A partir de là, on ne vend plus les produits seulement pour leurs qualités, mais pour ce qu’ils représentent.»

 

Un nouveau marché en Suisse

Arkhênum est présent en Suisse depuis 2014 et numérise depuis 2018 les archives de la Société des Nations. Mais elle cherche aussi à se tourner vers le privé depuis cette année. Le marché s’avère cependant différent en Suisse, détaille Sophie Holand, consultante stratégie patrimoniale suisse chez Arkhênum: «Notre travail nécessite de plonger dans l’intimité des entreprises et donc de gagner leur confiance, ce qui prend plus de temps en Suisse.» Elle poursuit: «Et si les entreprises s’accordent sur l’importance de conserver les archives, toutes ne voient pas encore l’intérêt de les valoriser.»

Mais le tissu économique suisse reste particulier: 99% de PME, et 75% d’entre elles en mains familiales, soit plus que la moyenne européenne. Marie-Christine von Pezold, directrice de Family Business Network Suisse, une association privée au service des entreprises familiales, estime que l’attachement des entreprises à leur histoire a une force structurante. «Mettre l’accent sur l’histoire commune permet entre autres de maintenir la cohésion familiale, notamment parmi les jeunes générations appelées à reprendre le flambeau.»

article du 9 juillet 2019 de JULIE EIGENMANN journaliste LE TEMPS

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